Tête d'oiseau, le cagot : IX fragments en PDF

Tête d'oiseau, le cagot

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Fragment IX

Nous retrouvâmes dans une nuit glaciale la fin de l'Acte III. De tragédie nous parlons, il retourne de votre seul libre arbitre d'en continuer la lecture ou d'y mettre fin.

Acte III

Scène 2 - Aturgnatos, Alya, tante d'Alya

Tante d'Alya

Mon Dieu ! Voici ma petite enfant adorée !
Mais tu saignes ! Ma chérie que c'est-il passé ?

Aturgnatos

Rassurez-vous ce n'est pas son sang mais le mien,
A courte distance on a lâché les chiens.

Alya

Vite ma tante prépare pour nous céans
Aulx pilés, vinaigre et jus de sel chauffé.
Je crains la rage, les chiens étaient tous bavants.
Mélangeons et appliquons le jus sur la plaie.
Vite ! Aussi chaud qu'il pourra le supporter.

Tante d'Alya

Seigneur ! Voici donc ton époux le charpentier.

Alya

Sanguinolent et puant mais c'est passager.
Il devra garder le lit neuf jours, ma tante,
Deux fois par jour la préparation appliquée.

Aturgnatos

Si c'est la rage, il faudra que je parte.


***

Scène 3 - Aturgnatos, Alya

Aturgnatos

Ainsi la raideur du corps confirme mon mal,
Je te vois si triste je n'ai plus le moral.
Je vais devoir partir dans les bois et ôter
La douleur avec une lame aiguisée.
Je souhaiterais que tu m'enlaces maintenant
Et avec tes forces étouffes-moi lentement.

Alya

Mon pauvre amour, subir le malheur encore,
Nous étions pourtant arrivé au bout.
A présent notre bonheur doit s'éteindre,
Mais qu'avons nous fait de mal à ce dieu jaloux ?

Aturgnatos

Étouffes-moi tendrement ma douce Alya.
Regarde dans mes yeux , le monde n'est plus là.
Laisse-moi partir mon tendre amour, je me meurs.
Garde précieusement en toi notre bonheur.

Alya

Je vois tes yeux lentement tomber dans la nuit.
Puisses-tu trouver la paix qu'on nous a ravi.

***

Scène IV - Fébus, Alya

Fébus

C'est une étrange manière, mais elle me plaît,
Tu veux ma bénédiction pour ce baptisé.
J'avais de l'affection pour mon Tête d'oiseau
Et comment s'appelle donc ce gros bébé tout beau ?

Alya

Mon Seigneur, choisi par mon mari est son nom.
Le fils d'Alya et d'Aturgnatos est Gaston.

Fébus

Ah ! Tiens donc ! J'y vois un bon présage, sais-tu ?
Avec les doigts il fait les cornes et remue.
Nous oublierons sa condition, il est voisin,
Nous verrons si sa race fait gâter le pain.
Un jour peut-être un cagot sera le Roi ?
Ne fais pas ces grands yeux, je te bénis Gaston.
Ton père est malicieux et a fait le bon choix,
Qu'humblement nous puissions en tirer la leçon.

Scène V - Fébus

Fébus

Le silence m'entoure, je suis condamné.
Je ferai ce livre pour ma postérité.
Ce soir-là mon fils ne fût pas tué, il vit.
Voilà c'est ça, je me concentre, je l'écris.
Mon fils est-il vraiment mort ? Je rêve.
Oh terribles démons qui viennent me hanter !
Chasser, tuer, le sang pour oublier. Trêve.






Fragment VIII

L'Acte III et sa scène I nous retrouvâmes. Il sera question du voyage d'Aturgnatos et d'Alya avec le charretier.

Acte III

Scène 1 - Aturgnatos, Alya, charretier

Charretier

Je suis de ta communauté de par les monts,
La soldatesque a violé mes deux filles,
Tu ne me verras plus passé Marsan, Démon.
Je m'en vais donner la mort dans cette ville.
La communauté a trouvé un coupable.
Il me défigura de cette balafre,
Puis je le vis violer mes filles à terre.
Tu connais notre loi, il va devoir payer.
Tu diras à Fébus que je vous ai volé.

Aturgnatos

Il sera fait selon ta volonté cagot.
La fuite te libérera de ce fardeau.

Charretier

Tu ne comprends pas Démon, il mourra, certes,
Après lui suivront ses pairs, jusqu'à ma perte.

Alya

Pourquoi l'appelez-vous démon, vous charretier ?

Charretier

Ah ! Je parle en souvenir d'une amitié,
Mais de cela, je ne pourrais rien te conter.
Saches qu'en ce dur monde, parfois les démons,
Servent autant à un berger que son bâton.

Aturgnatos

Soit, c'est un peu mystérieux, mais c'est entendu,
Les vieilles amitiés cagotes ne sont pas tues.

Fragment VII

Nous retrouvâmes la courte scène IV, concluant l'Acte II. Nous y verrons la désolation d'Agnès de Navarre et de sa servante.

Acte II

Scène IV - Agnès, servante

Agnès

Dix-huit ans qu'il m'a répudié comme femme.
Ce n'est pas une épouse qu'il lui faut tenir,
C'est de l'or qu'il lui faut à profusion saisir,
Et il m'insulte à nouveau après ce drame.
Le revoir après tant d'années pour aboyer,
Ne laisse plus de doute, il est possédé.
Aucune femme ne pourra l’apprivoiser.
Quittons cet endroit et le deuil allons porter.

Servante

Ma maîtresse me parait avoir vu un démon.
La pauvre était venue pleurer son Gaston.
Oh ! Le petit Prince venait d'avoir seize ans.
Vers quelle tristesse allons-nous maintenant ?

Fragment VI

Nous retrouvâmes le fragment contenant la scène III de l'Acte II. Il y est question du départ d'Aturgnatos et  d'Alya dans la caravane des marchands escortée par les gardes de Fébus.

Acte II

Scène III - Aturgnatos, Alya, marchand

Marchand

Avec ton teint jaune, je vois bien qui tu es.
Que fais-tu avec nous cagot ? Tu te trahis.
Avec la volonté de Fébus tu nous suis,
Mais ton odeur est loin d'être ce qui nous sied.

Alya

Nous avons eu une longue route, marchand.
Tu connais très mal les cagots, ils sont plus grands.

Aturgnatos

Nous ne serons plus de ta compagnie bientôt.
Arrivés au bois, nous poserons annonces.
Ce sac contient des messages et menaces
Contre tout infortuné braconnier cagot,
Ne sais-tu pas que Fébus peut être cruel.
Ma face est un message peu fraternel.

Marchand

Il est bien bon Fébus. Que tu le comprennes,
Nous sommes ici des amis du grand Prince,
Mais il est très gênant que tu ne nous donnes
De ton visage, qu'un rictus de menace.

Alya

Nous sommes épuisés d'avoir trop entendu
Toute la nuit durant les chiens hurler au loup.
Nous serions bien-aises de t'acheter un peu
De ces rubans vermeils que tu n'as pas vendu.
Sais-tu donc qu'on les vends aux cagots paresseux ?
Voulais-tu les donner ? Tu passes pour un fou.

Marchand

Je comprends mieux alors, pourquoi ils me restent.
Les gens du village y voyaient la peste.

Aturgnatos

Tu auras plus de succès à Bordeaux avec,
Ainsi que tes amphores et tes vases grecs.

Marchand

Voici un ruban, cadeau pour ton épouse.
De mon ridicule vous aurez la trace.



Fragment V

Par une journée venteuse d'hiver, nous retrouvâmes le fragment contenant la scène II de l'acte II, nous y lirons le dialogue clef entre Fébus et Agnès.

Acte II

Scène II - Fébus, Agnès, garde

Fébus

Horreur ! Quel tourment, l'enfer s'ouvre sous mes pieds.
Allons ! Je dois penser à ma postérité.

Garde

Seigneur, la Comtesse Agnès est en ces lieux.

Fébus

Amenez-là ici, je dois sécher ses yeux.

Agnès

Ne me regardez pas, mon âme n'est pas là.
Mon âme est noire écoutez donc ma voix.
Je vous demande ici de me laisser partir.
Je ne peux rester à me regarder souffrir.
Votre bras sans pitié a scellé mon destin,
Celui de mon enfant sacrifié par vos mains.

Fébus

Il en sera ainsi, vous partirez chez vous.
Jamais mon sang n'engendra de parricide.
Pour toute âme noble, c'est un juste courroux.
On l'acheva pour moi, pas d'infanticide.
Uniquement la justice d'un grand Noble.
Une digne Maison et pas une fable.

Agnès

Je dois partir, je ne peux entendre vos mots,
Votre noirceur d'âme est celle d'un cagot.

Fébus

Chienne impudente, tu dois ta vie sauve
A ma bonté d'âme, pas celle d'un fauve.
Prépare tes effets car comme tu l'as dit,
Nos sangs purs s'annulent dans cette tragédie.


Fragment IV

L'Acte III et la scène I sont les derniers fragments à nous être parvenus pour l'instant.

Acte III

Scène I - Aturgnatos, Fébus

Aturgnatos

Seigneur, vous m'avez fait mander, je suis à vous.
J'ai cependant confidence à vous faire,
Des voisins m'ont poussé à enfreindre vos lois,
Ils me haïssent plus que tous les villageois,
Ce sont les mêmes qui ont tué mon père.
J'en ai bastonné cinq les mettant à genoux.

Fébus

Et que veux-tu que je te dise cagot ?
Tu sais ce qu'il en coûte de me désobéir.
Mais je vais oublier ce que tu viens d'avouer,
A la condition que tu prennes ce couteau.
Tu vas pouvoir briser ceux qui te font haïr,
Chez l'assassin de ton père va le poser.

Aturgnatos

Merci Seigneur de me laisser participer
Au déclin de la maisonnée de ce tueur.
Haï, martyrisé depuis que je suis né,
La mission apparaît comme une lueur.

Fébus

N'oublie jamais, Tête d'oiseau, ce que j'ai fait,
Et si le moment vient, tu devras en parler.
Tu sais que je tiens en estime les bardes,
J'en entretiens beaucoup de ta communauté,
Mais que jamais ne soit évoqué dans les chants
Que tu t'en vas clouer un sexe de cheval,
Une main de maure, à hauteur égale,
Commandé par mes ordres, sur le portique,
La porte non pas des cagots, mais des voisins.
[Fragment manquant]

Aturgnatos

J'obéirai à votre volonté Seigneur.
Et je souhaite vous faire part de mon départ.

Fébus

Ah! C'est parfait car tu ne dois pas rester ici.

Aturgnatos

Nous partirons avec Alya sur les chemins.
Nous comptons rejoindre Marsan au mieux demain.

Fébus

Tu as ma bénédiction mon Tête d'oiseau.
Tu suivras le convoi de marchands que j'envoie.
Tu resteras sur place au niveau du bois.
Tu trouveras bien un prétexte de cagot.
L'escorte sera prévenue de ton état.
Ainsi suivra une charrette dans les bois.

Aturgnatos

Il sera fait selon vos plans mon bon seigneur.

Fébus

Disparaîs et accomplis ta mission sur l'heure.


Fragment III

Après recherches nous retrouvâmes la scène IV concluant l'Acte II. Il s'agit du monologue d'Odon de Mendousse.

Acte II

Scène IV - Odon de Mendousse

Ainsi l’impérieux païen, le comte Fébus
Lance contre moi une folle vengeance.
Le licencieux révoque donc son précepteur.
Il se sait trahi et déclenche son courroux.
A quarante-neuf ans, il renie donc nos us.
L’Église ne peut s'encombrer d'un tel Seigneur
Et qu'il ait détruit lui même son engeance,
Prouve par les actes qu'il est devenu fou.
Le Roi de Navarre me prêtera secours.
Je me dois de partir tel est mon seul recours.
Nul doute que la haine doit être grande.
Il me voyait comme un père spirituel,
Il sait qu'il est désormais pour moi que viande.
Mais d'aucuns trouveraient ce triste sort cruel.

Fragment II

Ainsi nous retrouvâmes, la scène II et la courte scène III de l'Acte II. Y est décrit le meurtre du fils de Fébus.

Acte II

Scène II - Fébus

Mon fils est mort ainsi donc ma descendance .
Je ne reverrai plus les charmes de la vie.
Je m'en vais faire devoir de pénitence.
De ce péché je serai à jamais sali.
Annonçons à ma cour ce terrible drame.
J'enrage, la colère brûle mes larmes.
Je dois pourtant retenir mon puissant courroux.
Épargnons l’évêque et tendons l'autre joue,
Pendant que mon envoyé détruira la vie
Des quelques familles qu'il tenait pour amies.
Ma fureur cherche un autre exutoire
Que tous les hommes garderont en mémoire.
J'y conterai la traque, le sang le meurtre,
Mais tous comprendrons qu'elle est la créature,
L'infâme traître qui souhaite ma damnation,
Contre lequel ma haine restera pure,
L'ecclésiastique infâme sous protection
De mon bras armé, ma main infanticide.
Dans un tragique destin je me suicide,
Moi, Fébus, je ne peux occire le scélérat
Qui d'une main habile sur moi déchaîna
Une damnation éternelle sur mon nom,
Lorsque je cédais à la vision terrible
D'un fils parricide me demandant pardon.
Mais ma haine fût plus forte que la Bible.
Rien n'effacera mes actes, mais je saurai
Me venger des hommes qui ont autorisé
A transformer des porcs en ecclésiastes.
[Fragment manquant]
Ma bible évoquera pour  l'éternité
Que ce que j'ai perdu coûtera tout le sang
Des animaux, ne pouvant tuer le reste.
Ces félons riront encore à mes dépends,
Mais le monde saura que Fébus les renie.
Leur Dieu est devenu pour moi une infamie.
Je ne peux blasphémer plus avant l’Église,
Mais le meurtre guidera mon entreprise.
Que ce nom païen que j'impose au monde,
Devienne le symbole de mon apostasie.
J'entends au loin la pluie et le ciel qui gronde.
Me voilà païen, seul au milieu de la nuit.
Détesté par les serviteurs d'un Dieu lointain,
Pour leurs fins, je dois combattre toujours les miens.
En neuf ans je créerai la Bible nouvelle.
Je reviendrai à la source des anciens Dieux.
Du sang des sacrifices que je sois lavé,
Car je ne puis à présent prétendre aux cieux,
Celui des hommes qui me cherchent querelles,
Le même que l’évêque qui m'a fait chuter.
Dans cette ouvrage je saluerai la flamme
De cette religion de stupides femmes,
N'y parlant que de sang d'animaux à verser,
Je donnerai repos à mon âme damnée.
Mais d'abord je saluerai le Dieu des chrétiens,
Je partirai à Pau, je ne peux vivre
Entre les murs souillé d'un infanticide.
Et je me sens faiblir, la haine se dilue.
Suis-je devenu fou ? Je dois prier le Dieu,
Celui de beauté et de miséricorde.
Que suis-je devenu dans cet enfer païen ?
Est-ce une épreuve divine, suis-je l'élu ?
[Fragment manquant]
Pourtant quand je suis sorti, il vivait encore.
Reprenons nos esprits, le Roi de Navarre
Lui donna le coût de grâce, me libérant.

Scène III - L'écuyer de Fébus

C'est deux générations qui s'abattent sur lui,
Faisant de cet enfant un inconnu maudit.
Le Prince donna les coups et le Roi l'occis,
On eut cru les cris d'un démon lorsqu'il partit.
Puisse-t-il trouver repos en sa demeure.
Le crime et la punition nous ont fait peur.
Le Diable est à l’œuvre, le Prince maudit,
Les cagots lui ont jeté quelque diablerie.





Fragment I

Avant propos

Tête d'oiseau le Cagot est le plus court roman de l'histoire concernant l'une des plus longues discriminations connues au monde. Son auteur est inconnu.

Résolument avant-gardiste ce roman fragmentaire en trois chapitres est gratuit et une suite est possible.

Chapitre I


Ce roman a failli commencer comme cela, mais nous touchions le plagiat, les plus érudits comprendrons :


Lorsque j'étais encore un enfant, je n’eus de cesse d’interroger ma mère : « Mère, y a t-il un endroit où nous pouvons vivre sans que les francs nous traitent de chiens goths ? » - Je ne sais – répondait-elle. Paul pourtant m'a dit qu'il y a une Vallée où les gens ne nous connaissent pas et ne nous obligent pas à porter la patte d'oie, mais j'ai de la peine à le croire. Lorsque j’insistais et lui demandais : « Serais-je en mesure de trouver cet endroit pour nous ? » - Non, c'est impossible affirmait-elle, il n'y a pas à y croire, partout nous aurons à porter la marque. N'y pense plus, Paul a trop d'imagination et nous appartenons au seigneur d'ici. » C'est ici que se trouve notre vie et notre destin. Elle m'expliquait ensuite qu'au Nord comme au Sud les francs savaient qui nous étions. Que si nous montions ou descendions du hameaux, il s'agissait de trouver femme à marier comme l'avait fait mon père. Mais qu'au dessus de nous il y aurait toujours les francs. Le père de la communauté dont nous admirons la sagesse avait coutume de dire que nous n'avons pas le choix, nous habitions une demeure à plusieurs étages qui ne nous appartient pas, il nous faut être patient. Nous sommes comme nous le dit la bible chrétienne, tout en bas, dans les limbes et l'enfer, au dessus il y a le purgatoire, quitter la communauté est pour nous un risque certain. Nous est et restera inaccessible la Terre des francs et le Paradis des Princes. C'est comme ici, tu vois d'abord Pau, plus haut Marsan et Bordeaux encore plus haut. »


***

Chapitre 2

Puis le roman prit cette forme synthétique :


Fébus laissa tomber sa lame rougie par le sang de son fils. Ses derniers mots lui revenaient en tête. L'entente était complète et la souillure intégrale, l’évêque de Lescar « cet enculé infâme... » avait sûrement fomenté le complot et gavé la tête du dauphin des inepties qu'on lui attribuait dans les hameaux misérables. Fébus ne pensait qu'à se faire justice et devant l’impossibilité de tuer le curé dans l'instant ses yeux se fixèrent sur le sol où gisait le cadavre de ce qui avait été son héritier.

Calmement il appela le garde et demanda à ce que la lame soit enterrée avec le corps de son fils dans la plus grande discrétion. Il intima l'ordre de faire parvenir un message dans le hameau des cagots adressé à tête d'oiseau.

Sous la pluie battante le garde se rendit dans le hameau misérable et frappa à la porte de la battisse de pierre au bout d'un chemin boueux à la lisière de la forêt. Une plantureuse femme ouvrit la porte et laissa passer la main du garde qui lâcha le cylindre de bois que lui avait remis Fébus. Le garde dégagea sa main transi de froid, tandis que la femme rapidement la lui retint. Grognant et avec la désagréable impression d'avoir été souillé par une force invisible plus rapide que lui, le garde posa devant l'entrée une petite bourse de cuir avant de repartir dans la nuit glaciale.

***
La salle était sombre mais se dégageait sur le mur un écu représentant une tête de vache aux cornes aiguës avec une imposante cloche à son cou. Des cuisines une odeur de gibiers cuits filtrait mêlée à l'humidité des murs.

Les yeux de tête d'oiseau passaient du vert sombre au gris-bleu acier suivant l'ondulation des torches. Fébus lui faisait face, à égale hauteur des flammes, leurs chevelures blondes les auraient fait passer pour des jumeaux, seules les cicatrices marquant les arcades du cagot et les cernes blanches de son visage trahissaient une condition misérable accentuée par des vêtements de cuir et de fourrure, lui donnant une aura de violence vibrante. Les traits émaciés de tête d'oiseau se figèrent lorsque le Prince évoqua la mort de son père et lui indiqua que l'heure de la vengeance était venue. Le cagot pris la dague reposant sur la table enroulée dans un tissu et l'enfouie dans son manteau.

***

Deux jours plus tard lors de la prise de son office, l’évêque Odon de Mendousse découvrit dans son calice un liquide rouge et épais, les yeux écarquillées, ne croyant pas à un miracle, il appela son messager en le priant de découvrir si les rumeurs de la mort du dauphin étaient fondées. Il referma la porte de l'autel et demanda à ce que ses effets soient mis en disposition pour un départ immédiat.

***

Tête d'oiseau n'avait pas pris la peine de s'étendre sur les motifs de son voyage. Toute possibilité de mariage étant exclues pour lui dans le hameau. Après avoir été humilié auprès de la belle qu'il convoitait et qui lui fût ravie par un cultivateur, ses chances de construire un projet de vie étaient nulles. Conscient et ayant intégré que sa condition faisait de lui un sous-homme, l'opportunité que lui donna le Prince de partir en Ossau afin de trouver femme lui paraissait une excuse convenable pour ne pas tenter d'en rajouter auprès de la communauté.

Le plus dur restait à faire. La main du maure et le sexe coupée du cheval avaient été cloués sur la Porte de l'église conformément aux ordres et la tension était montée d'un cran dans le village. Tête d'oiseau dont le père était décédé de ses blessures quelques mois après sa naissance, avait été sauvé par l'intervention du Prince. Le jugement de l'affaire imposa dans les consciences la présence d'une main invisible protégeant les charpentiers cagots. Tête d'oiseau pût grandir en sachant que son père avait été tué par des gens qui l'insultaient en permanence sans pour autant savoir ce qui pouvait pousser une meute à se déchaîner sur un père de famille. Le petit Aturgnatos compris qu'il était « tête d'oiseau » lorsque les mêmes familles qui avaient tué son père considérèrent de faire la même chose avec sa mère et lui-même. Elle n'eut la vie sauve qu'à l'intervention de Fébus encore une fois, qui avait besoin pour son intendance d'une personne discrète et ordonnée. Jugeant qu'une « franche » ayant épousée un Cagot pouvait remplir cet office, les tentatives d'assassinats se transformèrent en insultes et les cicatrices du passage à tabac ne laissèrent plus qu'une sensation diffuse de danger permanent.

Sa mère étant hors d'atteinte par les familles du village, ainsi que le sentiment qu'une action violente sans en payer le courroux princier était inenvisageable, Tête d'oiseau compris l'opportunité de se faire justice comme un signe divin. Il gardait en lui des images qu'il avait vu suite à une intoxication au pain de seigle qui lui valait à présent un regard soupçonneux par les gens du village. Il avait vu une femme reptile bleutée lui parler. Le bruit courrait en sourdine dans le village. L'intoxication légère avait été suivi d'une fièvre, sa condition de cagot l'avait sauvé d'un zèle inquisiteur trop appuyé et était resté dans les mémoires simplement le fait que Tête d'oiseau pouvait parler aux animaux sauvages dans ses rêves, ce qui ne constituait pas une forme dangereuse de sorcellerie, dans la mesure où tête d'oiseau, le bâtard cagot, dans son apparence filiforme adolescente ne représentait pas une menace physique pour les adolescents du village plus charpentés. Il ne fût pas construit un mythe de sorcellerie autour de cet événement et Tête d'oiseau se garda bien de revenir sur l'apparition qui le conduisit à construire dans ses rêveries une mystique le détachant de sa condition, lorsque dans l'église, à part, parmi ceux de sa caste, il écoutait parler le curé de l'enfer et du ciel.

Fébus profita du blasphème et du scandale pour mettre en place un interrogatoire serré. La dague fût retrouvée dans la maisonnée du mignon de l'Evèque. Preuve et pièce à conviction qu'une fortune conséquente avait voulu récompenser quelqu'un pour service rendu. Fébus devait avoir ses raisons pour que cette maisonnée tombe sous les foudres de la justice princière, Tête d'oiseau, lui ne voyait que les coupables de l'assassinat de son père, le père de famille de la maisonnée, médecin de son état avait achevé son père, tout le monde le savait dans la communauté cagote.


***
Chapitre 3

Enfin Aturgnatos alias tête d'oiseau le Cagot, qui fût instruit au talent de l'écriture, par l'entremise de Fébus, tenta d'écrire une tragédie en Alexandrins approximatifs, il s'arrêta et décida de partir à Toulouse, l’œuvre reste inachevée à notre connaissance :


Acte I

Scène I – Aturgnatos alias tête d'oiseau

Pourquoi ce Dieu vengeur ne nous sauve-t-il point ?
N'avons nous pas suivi la même route qu'eux ?
Quand ils nous humilient à chercher dans les bois,
La maigre pitance de notre quotidien.
Lorsque nous acceptons insultes et quolibets,
Baissant la tête pour qu'ils n'aient pas à frapper,
Nous ne buvons pas à la même source qu'eux,
Sommes-nous pour autant les enfants du même Dieu ?
Leurs prêtres nous tolèrent en queue de cortège,
Craignant que nos yeux lancent des sortilèges ;
Il nous est interdit de posséder un champ.
Nous travaillons le bois pour nourrir nos enfants.
Le fis du Dieu vivant fût aussi charpentier,
Le sauveur qu'ils nous accusent d'avoir blasphémé,
Laissant sur nous une faute inexpiable,
Enfants gothiques de la tribu terrible.
Dans nos yeux, ils disent voir brûler la lueur,
Une flamme sacrée qui déclenche leur peur,
Justifiant ainsi les coups qu'ils nous infligent,
Ainsi qu'à nos enfants et nous devons nous taire.
Leur justice est telle qu'elle ne nous supporte pas,
Contre nous s'inscrivent les lois de leurs jurats.
Trop de mal est tombé sur la communauté,
Il m'est impossible de plus en supporter.
Ma décision est prise de partir au Nord,
Je ne me soumettrai pas aux lois de leurs fors.
Leur mesquine haine a brisé mon mariage,
Ils attendent que je m'épuise avec l'âge,
Pareils à des vautours, ils guettent mon trépas,
Poursuivent de leur haine chacun de mes pas.

Scène II – Alya, Aturgnatos

Alya :

Te voilà donc sur le départ mon pauvre amour,
Je ne puis tu le sais épouser un cagot,
C'est le nom qu'ils te donnent pour justifier la mort,
Ce fût toujours la marque de leurs mauvais tours.
Ils détruisent nos vie et tueraient nos marmots,
Changeraient notre vie en perpétuel remord.

Aturgnatos :

Je partirai demain pour ne plus voir leurs yeux,
Le reflet de leur âme m’apparaît odieux.
Qu'ils se repaissent de mes épousailles futures,
Je leur laisse ce dernier festin d'ordures.
Je ne puis concevoir plus ignoble méfait,
Que de vouloir détruire ma race damnée.
Lorsqu'on s'estime supérieur et au-dessus
D'une lignée maudite et déjà perdue,
A quoi bon essayer des stratagèmes,
D'avancer la date d'un trépas annoncé ?

Alya :

Tes mots sont des couteaux mon bel amant cagot.
Tu souris car de ma bouche sortent ces mots.
Cette insulte infâme est devenue nous.
C'est ce nous qu'il détestent car tellement plus haut.
Si la Mort était juge, ils tiendraient sa faux,
Mais partir te protégera de ce fléau.
Mon père et ma mère ne sont pas dévots
De la religion de haine qu'ils ont créé,
Autour de fautes lointaines inexpiées.
Mais la solitude ne pourra rien pour moi ,
Depuis notre amour je suis enceinte de toi.
Nous partons et il te faut me protéger.
Mes chers parents ne pourront pas s'y opposer.
Je te demande juste de ne pas parler,
Je suis lasse de devoir de toi me cacher.
Tu as en toi un sang qu'ils veulent faire périr,
Je porte ce sang et il me feront mourir,
Comme de nombreuses femmes de ta race,
Je mourrais seule, empoisonnée sans traces.

Scène III – Le chef des villageois, les villageois

Le chef des villageois
Il nous faut dissuader le cagot de venir.
Le sachant prêt à partir, il faut lui nuire.
Emportons des bâtons et rossons-le de coups,
De nuit sur le chemin, jetons-le dans un trou.
L'infâme engeance doit payer son crime.
Garder nos droits est un devoir légitime.
Qui de nos Jurats protégera un chien Goth ?
Personne ne défendra un chien Goth et sa dot !
Le Roi les emploi que pour du gros œuvre,
Et il se moque bien de trouver des preuves,
Lorsqu'un de ses congénères se fait rosser,
Une bastonnade vaut bien un bon procès.
Mettons-nous bien d'accord avant de commencer,
Tapons sans retenue, n'ayons peur de tuer.
Le chien survivra sans savoir qui nous sommes,
Ou bien il mourra sans savoir qui nous fûmes.

Scène IV

Aturgnatos – Mère d'Aturgnatos

Aturgnatos

Mère, il me faut partir sans attendre,
Ou il me tueront, il l'ont fait à mon père.
Ils souhaitent ma mort, je l'ai compris dans leurs yeux.
Les mots sont aussi durs mais quelque chose empire,
Plusieurs d'entre eux me surveillent et m'ont suivi.
Je crains qu'ils ne succombent au feu qu'ils ont nourri.

Mère

Mon fils, tu ne peux pas te venger de même.
Leurs Rois nous ont brisé, ils veulent te tuer.
La mort et la folie est tout ce qu'ils amènent.
Ta sœur, ton père, je ne pourrais supporter
Si de ta vie ils réussissent à me priver.

Aturgnatos

Je crains pour toi mère, car ils sont sans pitié.
Les Princes-Roi à leur merci nous ont laissé.

Mère

Ils nous rosseront comme à leur habitude,
Mais je sens en toi une vigueur nouvelle.
Ne m'as tu pas tout dit ? Quant est-il de « mamie » ?
Es-tu sûr de ton choix de la laisser ici ?

Aturgnatos

Vous lisez en moi comme dans un livre ouvert,
Ma sœur le fait du ciel et toi depuis l'enfer.
« Mamie » va donner un enfant de ma race.
Je dois fuir l'enfer où les anges trépassent.

Mère

Malgré la colère qui enserre ton cœur,
N'invoque pas ainsi des anges et des démons,
Et que cette nouvelle engendre bonheur,
Laissons quelques instants parler nos émotions.

Aturgnatos

Je m'excuse pour ma froideur, je suis un chien Goth.
Que ces mots te fassent sourire me sauve !
Je vengerai plus les miens vivant que tué,
Il est temps pour moi de redevenir Cagot,
Je ne peux fuir et dois affronter les fauves.
Donne-moi mon bâton, je m'en vais pour blesser.

Acte II – Scène I

Alya, Mère d'Alya

Alya

Je ne peux m'y résoudre, je pars le chercher.

Mère

Tu ne peux au hameau des cagots t'en aller.
Attends ici qu'il revienne et reçois-le.
Tu partiras avec lui dans la charrette.
Arrivée à Marsan, tu paieras la dette
Qu'à ma sœur je dois et reste avec elle,
Ainsi ton époux n'est cagot que de père,
Tu n'en parleras pas et fera silence.
Il devra travailler dans les champs de ma sœur,
Tu feras ton enfant et ainsi mon bonheur.

Alya

Mère, il fera oublier qu'il est damné.
Une fois l'enfant né à Bordeaux nous irons,
Il parait que les cagots s'y font oublier.
Mon chérie sera un bon mari, il est bon.

Fin de l'acte I.

L'acte II n'a pas encore été retrouvé. Nous cherchons.



























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